Coucou, je suis là !

J’ai ouï dire que vous étiez tous morts d’inquiétude car vous n’aviez plus aucune nouvelle de ma modeste personne.

Pas de panique, je suis encore vivant ! Certes, j’ai échappé au pire mais c’est avec grand joie (comme dirait mon meilleur ennemi, Ignace) je vous envoie cette superbe carte postale de Saïgon qui prouve, si besoin est, que ce pays a encore grand besoin des services des PTT et d’Alcatel  réunis pour rénover ses installations téléphoniques.

Mais revenons à mes dernières mésaventures. Je vous avais laissés en plan à Ronchois, en Normandie, au moment de  cette arrivée triomphale dans mon village natal. Sitôt la fête terminée (qui dura quand même trois jours et trois nuits), je décidai de reprendre mon bâton de pèlerin. Je fis donc du stop sur les bords de la Seine et une brave péniche me prit jusqu’à l’embouchure. L’idée était d’aller visiter les pays nordiques en cargo.

Une fois au Havre, je fis le tour des bateaux en partance et je tombai sur un brave capitaine à l’allure asiatique qui ne parlait pas un mot de français. Nous usâmes de signes et de gestes pour tenter de nous comprendre mutuellement. Quand je lui ai montré mon magnifique appareil photo, il a fini par accepter de me prendre à son bord. Si j’avais bien compris, je serais chargé de faire un reportage photo sur leur traversée vers le Grand Nord.

Je fus tout d’abord surpris par la direction que nous prîmes en sortant du port du Havre : nous filâmes plein ouest au lieu de monter vers le nord. Mais j’ai supposé que c’était là une procédure normale pour rejoindre la Norvège, au final.

Les premiers jours passèrent vite et je fis d’innombrables photos de l’équipage et du bateau.

Le doute m’envahit lorsque nous laissâmes Ouessant à bâbord pour pointer plein sud. Je pris le capitaine à part et lui montrai sur une carte où je comptais aller. Sans s’énerver, et avec un sourire narquois, il me montra du doigt notre véritable destination : Saïgon au Vietnam.

Ciel ! Il y avait tromperie ou malentendu !

J’eus beau protester avec tous les gestes dont j’étais capable, le prier de faire demi-tour et de me déposer à Ouessant, rien n’y fit. Je décidai donc de faire la grève de la photo, sur le tas. Comme je m’ennuyais ferme, j’entrepris de visiter les cales du cargo. C’est là que je finis par tomber sur un secret bien gardé : des alignements infinis de tonneaux de Beaujolais ! Ainsi donc, ce bateau faisait-il du trafic de pur Beaujolais. Sans doute une manigance de nos services secrets pour intoxiquer les Vietnamiens en vue d’une possible reconquête de l’Indochine. Je pris en douce quelques photos de cette cargaison suspecte afin de pouvoir faire chanter le capitaine, en cas de besoin.

Je vous passe ces longues semaines mélancoliques passées à scruter l’océan infini dans l’attente d’arriver en Mer de Chine. Elles expliquent largement mon grand silence.

Et nous voici enfin arrivés à Saïgon (Ho-Chi-Minh Ville en fait). Le capitaine, au moment de mon départ me fit cadeau d’une bouteille de Beaujolais (est-ce pour que je sois moins dépaysé ? ou bien … pour me compromettre salement ? Le traître !). Bon prince, je lui confiai tous les clichés que j’avais pris sur le bateau puis je débarquai sur le quai. Au marché, j’achetai  vite fait un chapeau chinois et je me fondis dans la foule pour continuer l’aventure. Et tant pis pour le Grand Nord. La suite à la prochaine carte postale. Et d’ici là, … tenez bon !

Théophile Ronchoit