Quand vous lirez ces lignes, j’aurai terminé mon périple agité autour du monde. Ainsi, mon année sabbatique s’achève-t-elle en apothéose. Il faut que je vous raconte tout cela. Je crains par avance votre incrédulité mais je vous assure que ce récit est aussi solide que … la probité des hommes qui nous gouvernent. Bref, je vous vois déjà saliver comme à l’approche d’une bûche de Noël.

Eh bien justement, ce fut une sacrée bûche de Noël qui m’attendait à mon retour. Sans plus attendre, voici l’exacte narration des faits. Vous vous souvenez sans doute que je vous avais envoyé ma dernière carte postale d’un endroit merveilleux en Italie, les “Cinque Terre”, où j’avais atterri après une “croisière” mouvementée en paddle depuis le volcan Stromboli.

La première personne qui m’accueillit, au pied d’une falaise abrupte aux environs de Manarola, fut un brave vigneron du coin qui inspectait sa propriété perchée à flanc de montagne. Il me fit un tas de grands gestes à l’italienne et m’invita à le suivre dans sa cabane. Il vit que j’avais beaucoup souffert de cette traversée héroïque et m’offrit un bon café arrosé. Nous échangeâmes quelques mots, en italien bien sûr (aucune langue ne me résiste), et sympathisâmes.

Je lui fis part de mon projet de revenir au pays breton le plus vite possible car nous étions en décembre et mon année sabbatique arrivait à son terme. Là-dessus, il bondit comme un diable et me fit signe de le suivre dans sa vigne. Nous arrivâmes auprès d’un engin bizarre, un peu déglingué, qui semblait rouiller ici depuis des lustres. Il m’expliqua avec force gestes qu’il s’agissait d’un ULM abandonné ici par Nicolas Hulot à la fin d’un de ses tournages d’Ushuaïa.

Je bénis mon vigneron et lui fis une chaleureuse accolade. La solution était là devant moi : repartir en ULM. Mon ami italien n’étant pas surbooké en ce mois de décembre, il m’aida à remettre l’engin en état. Nous passâmes donc de longues journées à réparer cet aéronef et à le déplacer vers un endroit plat (ce qui est rarissime aux Cinque Terre). L’extase, ce fut lorsque le moteur démarra dans un bruit divin et sans à-coups.

Je passai alors les jours qui suivirent à préparer mon expédition. Aldo (le prénom de mon vigneron), craignant que je n’eusse froid en altitude, me donna un vieux manteau épais de couleur rouge bordé de fourrure blanche. En guise de sac-à-dos, il me donna aussi un vieux panier en osier dont on se sert pour les vendanges. Il le chargea de mille présents, à savoir des conserves d’anchois, du vin blanc de Manarola, des paquets de pâtes, des fruits confits.

Et hop ! Le 20 décembre, je fis mes adieux à Aldo et m’élançai tel Icare dans le firmament azuréen. Naturellement, le retour prit plusieurs jours. Le plus délicat fut de franchir les Alpes, d’autant plus qu’arrivé à l’aplomb du Mont Rose, je fus pris dans une épouvantable tempête de neige qui me força à atterrir en catastrophe sur le glacier, à 4600 m, près du sommet. Je ne dus alors mon salut qu’à l’hospitalité providentielle d’un individu fort costaud, passablement poilu, bougon et taciturne qui m’entraina dans sa caverne pour y passer la nuit. Nous pique-niquâmes d’une bonne cuisse de chamois pour nous refaire des forces.

Le lendemain matin, je vis la crête du Castor rosir sous les premiers rayons du soleil, alors je repris mon envol, saluant ce compagnon d’un jour, un peu rude certes, mais néanmoins sympathique (je n’ai jamais su s’il était suisse ou italien ou bien… autre chose). L’étape du lendemain, ce fut l’Auvergne où je m’abritai dans le creux douillet du Lac Pavin, puis je jetai mon dévolu sur Poitiers où je trouvai refuge en plein milieu du Futuroscope. Les gens crurent que j’étais une nouvelle attraction du Parc et j’eus beaucoup de succès.

Le jour suivant, cap sur Carnac, l’endroit idéal pour s’abriter sous un dolmen. Certains badauds pensèrent au débarquement d’un extraterrestre mais… la vérité est ailleurs : ce n’était que moi, Théophile Ronchoit. Et puis, le 24 décembre, ce fut l’étape finale vers Lannion. Home, sweet home ! Je pensais que ce ne serait qu’une formalité mais c’était sans compter sans la fureur des éléments bretons.

En effet, à l’approche de la capitale du Trégor, le vent se leva en tempête et je fus brinquebalé dans tous les sens. La nuit commençait à tomber. J’allumai donc ma puissante lampe torche pour voir et pour être vu. Grosse galère pour trouver le chemin de l’aéroport. Impossible de lutter contre ce vent fou de secteur ouest. Je fis du surplace pendant plus d’une heure tentant de garder le contrôle de l’engin. Et puis je finis par reculer, m’approchant dangereusement du clocher de Brélévenez. Aux douze coups de minuit, une ultime rafale eut raison de mon aéronef qui se planta lamentablement au sommet du clocher de l’église.

Point de bobo, rassurez vous. Je descendis de l’engin sinistré. C’est alors que j’entendis une clameur provenant du parvis de l’église. Une foule immense était là, en bas, à m’acclamer en pointant le doigt vers ma personne : des hommes, des femmes et des enfants enthousiastes. Je réajustai mon grand manteau rouge et mon lourd sac-à-dos en osier et décidai de me laisser glisser le long de la pente du clocher. En bas du clocher, une échelle m’attendait, dressée par le bedeau.

Je ne vous raconte pas l’émeute que suscita mon arrivée sur le parvis, dans la foule en délire. En fait, je crois que je ne me souviens plus de grand chose si ce n’est que mes meilleurs amis étaient là : Parfait Saint-Surcinq, Sylvie Père, Jean-Bâ Lenn. Sans parler du maire, du sous-préfet et du curé, les bras chargés de myrrhe et d’encens…

Enfin, j’ai dû tourner de l’œil, épuisé par ce voyage épique. Depuis, la ferveur est retombée et je dois vous avouer que je me demande parfois si tout cela a bien eu lieu. Heureusement, la photo et la vidéo sont là pour servir de preuve et vous trouverez ci-après quelques images prises avant que la nuit ne tombe, tandis que je luttais pour passer la butte de Brélévenez.

Enfin, l’essentiel, n’est-ce pas, est que votre Ronchoit soit de retour, plus déterminé que jamais à faire bénéficier le club de sa grande expérience.

Votre dévoué Théophile Ronchoit, qui vous adresse ses meilleurs vœux pour 2018