Dernièrement, tout le monde s’inquiétait, paraît-il. Mais où donc est passé Ronchoit ? On ne le voit plus, on ne l’entend plus. Pourvu que l’affreux covid19 n’ait pas eu raison de lui ! Eh bien non, rien de grave, rassurez vous. Votre Ronchoit est toujours vaillant, fidèle au poste mais … il revient de loin, assurément. J’ai hésité avant de prendre ma plus belle plume car je me suis dit que vous auriez, une fois de plus, du mal à me croire tellement c’est fou. Bref, je ne vous fais pas languir plus longtemps et je m’en vais derechef vous narrer ce qui m’est arrivé le 24 décembre dernier, la veille de Noël.
Figurez vous que, comme tout membre respectable d’OIT, je visitais ce jour-là l’exposition du Salon annuel à l’Atelier des Ursulines, sur le thème “Question de temps”. J’étais descendu de mon Aventin, le fameux Méné-Bré, pour aller admirer les œuvres de mes collègues photographes et vidéastes. En 40 minutes, j’avais fait le tour de l’exposition quand je suis tombé en arrêt devant la photo de Didier Flury intitulée “Rouages”, laquelle a eu les honneurs du carton d’invitation. Littéralement hypnotisé par cette image, j’ai eu le sentiment que les rouages se mettaient soudain à tourner, mais à l’envers . En même temps, je commençais à entendre comme des cliquetis mécaniques de plus en plus prégnants. En quelques secondes, l’environnement de l’exposition disparut de mon champ de vision. Ne restaient plus que ces rouages tournant de plus en plus vite dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et des cliquetis de plus en plus sonores. Je crus un instant que je perdais la raison mais la suite me prouva le contraire.
Je fus pris dans une sorte de tourbillon, puis tout finit par se figer et, quand le flou se dissipa, je me retrouvai dans un grand hangar désert au fond duquel se tenait un énorme obus. Misère ! Où étais-je ? Que m’arrivait-il ?! Je vis, dans un angle, un bureau avec des quantités de papiers et de croquis qui trainaient. J’y jetai un coup d’œil. Et là ce fut la stupéfaction ! Après avoir parcouru ce qui me tombait sous la main (dont un calendrier), je compris que j’étais arrivé en 1902, que je me trouvais dans les studios du fameux Georges Méliès qui était en train de tourner son film “Le voyage dans la Lune”. Inutile de vous dire que j’étais à la fois émerveillé et effrayé par ce qui m’arrivait. Je n’eus pas trop le temps de me poser une foule de questions car, peu après, un flot de gens, des techniciens du cinéma apparemment, fit irruption dans le hangar. Ils bavardaient bruyamment et ne semblaient pas faire attention à ma personne. Chacun se dirigeait vers son poste de travail autour de l’obus. Puis entra le patron, Georges Méliès en personne. Il fit une pause à l’entrée du hangar comme pour apprécier la situation, balaya du regard l’espace et finit par tomber sur moi. Il poussa une exclamation de joie en me voyant et leva les bras au ciel. Ah ! Théophile ! Dit-il en venant me serrer vigoureusement la main (au mépris de tous les gestes barrière, soit dit en passant). Vous voici enfin ! Vous me sauvez la vie savez-vous. Merci d’avoir accepté le rôle au pied levé pour remplacer mon acteur malade. Vous verrez, vous ne le regretterez pas, vous allez vivre une aventure cinématographique ex-tra-or-di-naire !
L’homme lui-même était ex-tra-or-di-naire. Une boule d’énergie en ébullition. Il m’attira vers cinq autres hommes à chapeaux qui contemplaient le fameux obus et il me présenta. C’est ainsi que je découvris que je faisais partie de l’équipage des six astronomes-astronautes qui devaient embarquer à bord de cet obus destiné à être envoyé sur la Lune.
Je fus aussitôt dirigé vers l’habilleuse puis la maquilleuse qui me mirent au goût de l’époque, avec un costume de savant et un beau chapeau. Je n’étais pas peu fier de participer à cette aventure, croyez moi. Et puis ce fut le départ du haut des toits de Paris au cœur d’un immense canon de 300 mètres de long braqué vers la Lune. Boum ! Même pas peur. La secousse fut rude cependant. Quelques minutes plus tard nous alunissions de façon un peu brutale, mais sans dommages, sur l’astre de la nuit. Il serait trop long de vous narrer ici par le détail tout ce qui se passa durant cette expédition : le clair de Terre, la nuit fantasmagorique, la grotte aux champignons, la découverte des sélénites (habitants de la Lune) et la guerre qui s’ensuivit. Le retour précipité vers la Terre, le repêchage en mer, les acclamations de la foule en délire et les félicitations du Maire, lequel me décerna, ainsi qu’à mes cinq autres compagnons, la distinction de Chevalier de l’Ordre de la Lune. Wouahh ! ça vous en bouche un coin, non ?
Pour tout savoir, je vous encourage à aller voir ce film culte.
Peut-être m’y reconnaîtrez vous sous mon chapeau. Je vous laisse deviner.
Le plus bête dans cette histoire est que je n’avais pas prévu de prendre un appareil photo ou une caméra et que je n’ai donc aucune photo, ni vidéo de l’exploit. Mais vous me faites assez confiance, n’est-ce pas, pour me croire sur parole.
Enfin me direz-vous (je sens la question brûler au bout de votre langue), comment suis-je revenu là, parmi vous en fin 2021 ? Eh bien ce fut à la fois très simple et inattendu. Un de mes compagnons de voyage avait une montre gousset qui attira mon attention. Je lui demandai alors de me la montrer. Elle avait une particularité, c’est qu’on voyait, au delà des aiguilles, le mécanisme et les rouages de la montre. Je la pris dans ma main et la regardai intensément. En quelques secondes, je fus pris d’un immense vertige, le mécanisme s’emballa (dans le sens des aiguilles d’une montre cette fois). Avant que tout devienne flou, je vis le visage stupéfait de mon compagnon, le propriétaire de la montre, puis je rentrai dans un immense vortex empli de cliquetis d’horlogerie. Après un temps qui me parut à la fois court et interminable, je me retrouvai dans la salle d’exposition du Salon, assis sur une chaise, entouré de cinq personnes qui me dévisageaient et me demandaient si j’allais bien. Notre présidente me tapota le visage pour tester ma réaction et je finis par me lever, un peu ébranlé, et les rassurai sur mon sort, sans rien dire de ce qui venait de m’arriver. A leurs yeux, je m’étais, paraît-il, évanoui devant la photo “Rouages” de Didier Flury. Un choc artistique sans doute.
Nous étions toujours le 24 décembre, il était presque 18h30 et l’exposition allait fermer ses portes. Une chose me revint subitement : je suis certain, pendant cette nuit fantasmagorique passée sur la Lune, d’avoir vu passer fugitivement dans le ciel couleur d’encre, le traineau du Père Noël avec ses six rennes se dirigeant à toute vitesse vers notre bonne vieille Terre. Une Terre dont, assurément, il faudra dès à présent prendre le plus grand soin, si l’on veut encore en profiter longtemps. Car, je vous le dis sans ambages : vivre sur la Lune, c’est pas terrible, assurément. Allez, bonne année 2022 à toutes et tous. Portez vous bien.
Lunatiquement vôtre. Théophile Ronchoit