Décidément, le Méné Bré est un endroit bien étrange. Rappelez vous, la dernière fois, en septembre, je vous avais narré mes aventures cosmiques avec des aliens venus me cueillir sur le sommet de la montagne pour m’emmener décrocher le drapeau américain planté sur la Lune. Une histoire à peine croyable, vous en conviendrez. Mais depuis, plus rien, jusqu’à ce 24 décembre 2019 où j’eus de nouveau une visite singulière. J’étais au pied de la chapelle en train d’observer le ciel étoilé en espérant, au choix, soit assister au retour de mes aliens, soit voir passer le traineau du Père Noël. Ou les deux peut-être.
Non loin de moi, sous le porche de la chapelle Saint Hervé, se tenait un bœuf, fort placide. Un rayon de Lune me fit entrevoir qu’il n’était pas seul. En effet, sous ce porche on pouvait apercevoir une crèche avec Joseph et Marie grandeur nature en bois sculpté et, entre eux deux, une sorte de couffin de paille, totalement vide. Le souffle du bœuf dégageait de la buée au dessus du berceau. On sentait qu’il allait se passer quelque chose. Mais, foi de Ronchoit, un truc clochait dans ce tableau. Quoi donc ? Crénom, mais c’est bien sûr, il manquait l’âne gris à côté du bœuf ! Pourquoi diable (si j’ose dire en ce jour sacré) l’âne gris n’était-il pas au rendez-vous ?
J’eus bientôt la réponse par hasard en allumant mon transistor, cet objet qui reste le seul lien qui me rattache encore au commun des mortels. En effet, j’appris que la France était paralysée depuis deux semaines par une grève générale des transports et que les ânes venaient tout juste de se joindre au mouvement. Elle était là l’explication, pas plus compliquée que ça. Ceci dit, on ne pouvait tout de même pas laisser cette crèche comme ça, sans âne. Il fallait faire quelque chose. Mais quoi ? Je levai alors les yeux au ciel et fis un vœu. Le bœuf en fit autant et nous attendîmes que les douze coups de minuit s’égrennent au clocher de la chapelle pour nous faire entrer dans le jour de Noël.
A peine le douzième coup avait-il retenti que je vis apparaître, dans un éclair de lumière, au cœur de ce qui était sans nul doute une faille spatio-temporelle, deux êtres singuliers que je mis du temps à identifier : un homme brun et pas très grand, vêtu d’un grand poncho de toutes les couleurs, avec un bonnet chamarré sur la tête et un grand balluchon sur le dos. Il était accompagné d’un lama, une superbe bête blanche fort altière. L’homme avait l’air surpris d’être ici. Apparemment son voyage spatio-temporel n’était pas programmé. Après un moment de stupeur, il s’adressa à moi, en espagnol, et me posa mille questions. Heureusement, Ronchoit, comme vous le savez, est totalement polyglotte (en plus d’être troglodyte) et ce fut un jeu d’enfant d’entamer la conversation avec ce péruvien égaré, la nuit de Noël, au cœur de la Bretagne . C’est ainsi que j’obtins quelques informations sur l’incroyable épopée de notre visiteur.
Juste avant d’arriver ici, il se baladait au soleil couchant au sein du fabuleux site du Machu Picchu, profitant du calme laissé par le départ des derniers touristes. Avec son fidèle lama, il passait au milieu du Temple du Soleil au moment même où l’astre se couchait en dardant ses derniers rayons par la fenêtre étroite de l’édifice. Et puis pfuiiit ! Plus rien. Grand trou noir. Quelques secondes de black-out avant de débarquer ici, au sommet du Méné Bré, dans un halo lumineux. On serait incrédule pour moins que ça, mais ce n’était pas contestable, Felicio (c’est son prénom) était bien là en chair et en os avec son lama. Un cadeau du ciel car, faute d’âne, le lama pourrait sans doute faire l’affaire pour compléter la crèche. L’animal ne se fit pas prier et alla derechef rejoindre le bœuf auprès de Joseph et Marie, soufflant, lui aussi, un petit nuage de vapeur pour réchauffer préventivement le berceau de fortune. Mais à propos, quid du petit Jésus ? Nous étions désormais le 25 décembre et le couffin était désespérément vide.
C’est alors que mon nouvel ami péruvien eut une inspiration. Il posa à terre son gros balluchon, le dénoua et étala ce qu’il contenait. Il me tendit un peu de coca à mâcher, ce que je fis sans broncher. J’avais bien besoin de cela pour me remettre de mes émotions. Et puis, au milieu de son petit bazar, il sortit un poupon avec une tête joufflue en terre cuite, habillé d’une barboteuse de toutes les couleurs. C’était pile-poil ce qu’il nous fallait pour compléter la crèche. Il prit délicatement le poupon et le déposa au milieu du couffin de paille. On eut un instant l’impression que Marie et Joseph tournaient la tête en direction de l’enfant et que la cloche de la chapelle tintinnabulait doucement. Mais ce n’était sans doute qu’une impression. J’étais sur le point d’attraper mon appareil photo pour immortaliser ce tableau touchant quand, derrière mon dos, je perçus une vive lumière. Je me retournai dans un sursaut et constatai avec stupeur que mon ami Felicio avait disparu, probablement happé par cette fameuse faille spatio-temporelle qui sévit au sommet du Méné-Bré. Par contre, le lama était toujours là et le “Petit Jésus” aussi. Preuve que je n’avais pas rêvé.
Que d’émotions ! Ivre de fatigue, je partis me coucher tout en me demandant ce qu’il allait advenir de ce lama de Noël. Mais, bon, on ne va pas se faire du mouron, il y aura bien un autre prodige pour arranger tout ça. Peut-être des rois mages passeront-ils le 5 janvier et l’adopteront. Bon ce n’est pas tout ça mais j’ai une nouvelle année à préparer moi, avec plein de travail à OIT pour 2020. Faut pas mollir. Allez ! Bonne année à toutes (mes admiratrices) et à tous (les mâles jaloux).
Votre dévoué Théophile Ronchoit