Ronchoitises infinies

C’est en regardant le ciel étoilé, la nuit venue, du haut du Méné-Bré, loin de toute pollution lumineuse, que j’en suis venu à une profonde réflexion sur l’infini. En effet, quoi de plus troublant et mystérieux que cet infini que l’on perçoit sans jamais pouvoir l’atteindre … par définition. Et cela nous connecte directement à la photographie qui fait un grand usage de la notion d’infini. On dit fréquemment que l’on fait la mise au point sur l’infini lorsque l’on veut prendre un paysage en plan large. Cela est fort prétentieux, comme si seul le photographe avait, en ce bas monde, le privilège de jongler avec l’infini, d’y comprendre quelque chose. Alors qu’en fait, le photographe est un fat qui ne comprend rien à ce mystère mais qui s’échine à faire semblant. Heureusement, Ronchoit est là, comme toujours, pour remettre de l’ordre dans tout cela. Et pour mieux illustrer la notion d’infini, je vais utiliser une belle parabole, comme le faisait déjà, il y a deux mille ans, mon illustre prédécesseur.

L’infini, c’est quelque chose qui ne finit jamais. Il peut s’agir de distance, de temps ou, plus prosaïquement, d’un objet du quotidien. Comme je veux pas vous pas vous embrouiller avec les notions relativistes d’espace-temps qui assurément vous échappent, je prendrai un exemple issu de votre quotidien. Chacun d’entre vous se brosse les dents chaque matin et utilise pour cela une brosse à dents et un tube de dentifrice. Jusque là, vous me suivez, n’est-ce pas ? Au début, rien de spécial à signaler : vous mettez un peu de dentifrice sur la brosse à dents et vous vous brossez les dents sans vous poser davantage de questions. Puis arrive fatalement le jour où il semble qu’il n’y ait presque plus de dentifrice dans le tube. Comme vous n’avez pas pensé à en acheter d’avance, vous vous dites qu’en pressant un peu le tube, vous arriverez bien à en extraire une dernière lichette. Et en effet, ça marche.

A ce stade, je vous entends déjà me dire : “Mais où donc voulez-vous en venir, Maître Ronchoit ? Nous sommes là fort loin de la problématique d’une prise de vue photographique avec mise au point sur l’infini”. Certes, mais patience, j’y arrive. Le jour suivant, vous avez encore oublié d’acheter du dentifrice et vous vous trouvez nez-à-nez avec votre tube aplati faisant triste mine (le tube, et vous aussi). Qu’à cela ne tienne, vous le pressez un peu plus fort et vous en tirez une autre précieuse lichette. Le plus étonnant est que le phénomène se reproduit encore le jour d’après et puis le jour suivant, … Et ceci jusqu’à l’infini. J’entends d’ici des rumeurs sceptiques s’élever. Mais là, je vous interpelle : quelqu’un d’entre vous est-il déjà arrivé au bout d’un tube de dentifrice ? Répondez moi en toute sincérité. Certes, la plupart des gens, pris d’une angoisse existentielle au vu de ce phénomène troublant, finissent par jeter à la poubelle le vieux tube racorni. Mais au fond de nous, nous savons bien que nous avons commis une injustice et que ce tube n’avait pas dit son dernier mot. Il tendait tout simplement et sublimement vers l’infini …

Forts de cette prise de conscience, vous vous sentirez désormais plus intelligents lorsque vous vous apprêterez à appuyer sur le déclencheur de votre appareil photo après l’avoir réglé sur ce petit symbole de l’infini qui ressemble, selon certains, à un 8 couché. Mais selon votre serviteur, ce symbole s’apparente plutôt à un tube de dentifrice bien entamé. Désormais, j’en suis sûr, foi de Ronchoit, vous ne photographierez plus jamais sur l’infini sans penser à tout cela et sans vous être brossé les dents au préalable.
Bien à vous et heureux d’avoir été utile, une fois de plus, à l’art photographique et à la science.

Votre dévoué Théophile Ronchoit